Coline Oliviero

"Les sculptures de Coline Oliviero envisagent grandeur nature les rouages et mécanismes internes d'un microcosme invisible. Agrandis, les volumes de l'artiste s'imposent en force dans l'espace et entrent dans un jeu de pouvoir et d'équilibre avec le corps.
Usant de matériaux pauvres comme l'argile, la terre, le papier, la cire ou le bois, et s'appropriant leurs techniques de travail, Coline Oliviero redéfinit le « faire », défiant la matière et ses possibilités de maintien, de tenue, de résistance. L'artiste répète son geste jusqu'à ce que l'oeuvre imprègne en elle le risque d'un danger, suggère l'accident. Les sculptures s'érigent alors, forces fragiles, debout mais en équilibre précaire. Le point n'est pas loin où tout peut basculer ; les vestiges archéologiques s'effondrer comme dans un jeu de dominos puis disparaître.
Dans les binômes ou séries de l'artiste, chaque élément semble ainsi morceau ou partie d'un ensemble et engendre le reste. Ce système, où chaque sculpture devient l'outil d'une autre, et où la matière se trouve éprouvée à répétition, extrapole la vulnérabilité des volumes en tant que modèles et gabarits. Qu'elles soient compatibles ou non, en plein, en creux, en taille, les sculptures de l'artiste interrogent le geste premier, sa matrice. De ces formes en proie à la fracture, quelle est celle qui restera debout et imbriquera les autres?"
texte d' Élisa Rigoulet pour le catalogue des diplômés 2012 des Beaux-Arts de Paris.

"Ce soir, je suis conviée. Des Limaces dans ma cuisine, la promesse d’un rendez-vous absurde ? J’entre, et à mes pieds, d’innombrables petites formes céramiques, deux bancs d’une faune étrange. Une table colorée et festive, sous forme de bestiaire, où chacun pourra convoquer les choses qui lui viennent. Pour moi des bonbons, écuelles, dentiers, fossiles, coquillages, insectes préhistoriques, écailles, bouts d’ongles et épidermes, fragments et morceaux brisés. Un cabinet de choses curieuses ou la vision mise en dimension des dessins d’anciennes planches pédagogiques.
On remonte d’un niveau, vers des sculptures disposées plus en hauteur ou sur des tasseaux de bois vissés aux murs. La sensation est moins grouillante, les formes sont plus posées. Un motifs s’impose par sa répétition : la pyramide, qui revient dans plusieurs endroits de la pièce. Plus qu’un motif, on y verrait les clones d’un même être/objet, chacun à des stades différents de mutation. La mutation, ici, est l’état qui domine. La cire fond, les céramiques se colorent, la faïence – elle est cuite, c’est pourtant impossible – semble se liquéfier entre les bouts de bois qui la supporte. Même les dessins ressemblent à des nuées, des essaims de particules prêts à poursuivre leur mouvement volatile.
Coline Oliviero nous invite dans sa cuisine, on pourrait dire dans son laboratoire. Certains objets semblent à peine commencés, à peine « nés », ont tout juste amorcé leur croissance ; d’autres en revanche sont à des stades avancés, plus proches de la décomposition. Et c’est là le mystère du travail présenté ce soir, le sentiment d’une vie propre de la matière. Il semble que chaque objet a été figé au milieu de sa transformation, qui reprendra de plus belle à peine aurais-je le dos tourné. Je sais que c’est l’artiste qui les a fait, de ses seules mains, et pourtant quelque chose chez moi refuse de le croire. J’ai plutôt l’impression que j’assiste à un moment suspendu au milieu d’un processus autonome d’évolution, autrement accéléré, de ces objets qu’on a décidément du mal à ne pas prendre pour des êtres. Il y a du vivant, une sorte de synthèse inédite à la croisée de l’animal, du minéral et du végétal. C’est d’ailleurs un peu la définition du mollusque – de la limace – dont on nous avait bien dit qu’il serait de la soirée. "
Texte de Joséphine Mourlaque à propos de l'exposition DES LIMACES DANS MA CUISINE à la Galerie Simple, mars 2016.

Après le château de Neublans en 2013 puis l’espace public de la ville de Dole à l’été 2014, les artistes d’IF (In Fieri) reviennent dans le Jura en juillet 2016 pour investir un nouveau lieu patrimonial, cette fois naturel, la Grotte du Dard à Baume-les-Messieurs. Avec la même préoccupation qui les avait déjà animé à Neublans et à Dole : celle de s’emparer d’un lieu chargé, chargé d’histoires, de mémoire et d’imaginaires pour y construire leur propre récit, récit qui à la fois se nourrit de « l’esprit du lieu » et
y déploie leurs univers autour d’une rêverie commune. À Baume-les-Messieurs, c’est un site prestigieux et un haut lieu du tourisme jurassien qu’ils s’apprêtent à venir occuper : une grotte creusée il y a 30 millions d’années par les eaux du Dard, dont la source se trouve au coeur de la roche. Pas simple d’occuper un territoire aussi imposant : des kilomètres de galeries, des voûtes immenses, un site qui écrase presque par sa beauté. Les artistes ont choisi de s’approprier l’endroit dans un mouvement qui me semble de balancier, à la fois de façon littérale, jouant la grotte comme le lieu de l’archaïque et de l’origine, et à la fois la renversant en espace de fiction, comme un terrain de jeu pour se réinventer en explorateurs sur cette île devenue grotte ou ventre d’une baleine échouée dans le Jura. Après tout, la grotte c’est aussi bien sûr la caverne, celle où naissent les images et où les frontières deviennent incertaines entre le réel et son double, la représentation. Où sommes nous ? Sur une île ou dans le ventre de la baleine ? au centre de la terre ou dans un décor de carton pâte ? dans une grotte ou dans une salle de cinéma ? dans le réel ou dans un tissu de rêves cousu d’eau, de sons, de matières et d’images ? Peut être dans un lieu qui serait le non-lieu atopique dont rêvait Robert Smithson, figure tutélaire possible de la pratique site-specifique que revendiquent, me semble-t-il, IF. Un espace sans localisation physique précise, où les repères se perdent et où nous sommes prompts à plonger dans un monde fictionnel, telle est en partie la définition que donne
Smithson de la salle de cinéma-caverne qu’il imagine dans son texte A Cinematic Atopia 1. Telle devient aussi la Grotte du Dard réinventée par IF le temps de cet été 2016 : un espace à la fois physique et mental qui a le pouvoir de nous entraîner, comme l’expérience décrite par Smithson en 1971, dans « une forêt vierge peuplée de multiples ailleurs ».
1-Artforum, 1971
Texte d'Amélie Lavin, directrice du Musée des Beaux-Arts de Dole à propos de l'exposition
Par le courant d'un fleuve submergé, dans les grottes de Baume-les-Messieurs, juin 2016

Site internet

Conception
ALEXANDRE ESSAYIE

Développement
CAROL BURRI

Crédits photo
LÉONARD OLIVIERO
PIERRE LETULZO
MAXIME MILANESI

merci!